La journée d’étude « demain sans fonctionnaires ? » organisée par la CGT du CD 93 le 23 mars dernier à la bourse du travail a réuni 200 agents départementaux et quelques agents d’autres collectivités. Cette journée fut riche tant par la qualité des intervenants que des échanges avec les collègues.
« Du local au national, le besoin de services publics ».
Les premières interventions permirent d’aborder la situation des luttes au Conseil départemental, sur la politique du personnel par exemple, mais aussi sur les mobilisations en cours qui représentent 539 jours d’actions unitaires en intersyndicales. Ensuite, il a été question des enjeux sur le territoire de la Seine-Saint-Denis. Malgré les besoins de la population, les hôpitaux et les services sociaux sont au cœur des réformes visant au démantèlement des services publics. Pourtant ils sont indispensables et il faudrait au contraire les développer et les renforcer. La défense du statut général des fonctionnaires fut aussi mis en avant au cours de cette matinée. En effet, le statut fête ses 70 ans cette année et il convient de rappeler combien il protège les fonctionnaires selon les principes d’égalité, de citoyenneté et d’indépendance. Par le statut, les fonctionnaires sont reconnus comme citoyens à part entière et ne sont plus soumis à l’arbitraire, tout en restant responsables vis à vis de l’administration.
« Des moyens pour le développement des services publics »
Les intervenants de l’après-midi démontrèrent que de l’argent il y en a et que les politiques d’austérité ne sont pas une fatalité. Lutte contre l’évasion fiscale, réforme de la fiscalité, exigence de transparence dans les pratiques des entreprises… les salariés, les agents publics, les citoyens doivent et peuvent s’emparer de cette question pour inverser les tendances à l’œuvre actuellement. Pour cela, il faut engager des luttes qui gagnent. Dans cet objectif, en plus des actions traditionnelles, les réseaux sociaux constituent de formidables relais d’information et accélérateurs de mobilisations, à l’instar de celles engagées contre la Loi travail qui ont permis de faire bouger les lignes… avant le couperet du 49.3.
Hervé Ossant, secrétaire de l’Union départementale CGT 93 : Le service public est notre patrimoine commun. Il faut donc l’investir, le développer. Le service public doit permettre de créer des liens, les favoriser, les fortifier pour éviter toute inégalité, tout repli sur soi, toute xénophobie. L’évolution de la fonction publique s’écrit dans un temps long, celle d’un projet de société.
Présentation de la situation au CD93 par Sébastien Freyburger CGT CD93, puis intervention de Sylvette Morin, CGT santé du groupe hospitalier Avicenne-Jean-Verdier-René Muret : le service public hospitalier est en danger de démantèlement. Quels soins demain pour nos enfants ? De gros travaux sont en cours, non pour répondre aux besoins du public mais pour mieux vendre l’hôpital dans la perspective de le remplacer par des logements, notamment. La mobilisation du personnel hospitalier et l’action citoyenne mettent à mal cette vente à la découpe. Pour autant, les conditions de travail se dégradent, les infirmières, trop peu nombreuses, sont accaparées par les actes médicaux, la dimension humaine du rapport au malade disparaît poussant les professionnels à partir. Les personnels motivés mais en sous-effectif n’ont plus le temps d’exercer leur métier et s’épuisent. Il faut mobiliser les politiques et protéger nos fonctions publiques.
Alain Naouennec co-fondateur des états généraux alternatifs du travail social (EGATS) : le crédo de toutes les politiques départementales est la réduction des budgets, la baisse des effectifs, l’arrêt des subventions aux associations d’aide à la personne, de prévention spécialisée… Le travail social serait pour elles un boulet financier, les cotations d’activité des métiers appauvrissent les contenus. Les Egats proposent une redéfinition du travail social.
Anicet Le Pors, ancien ministre de la fonction publique : Nous ne devons pas nous démobiliser, faire preuve d’un laisser-aller ni se contenter de position défensive mais au contraire construire dans un contexte défensif. Ne perdons pas de vue les atouts du peuple français : La fonction publique actuelle est héritière d’efforts successifs. C’est une histoire longue : depuis Philippe Le Bel, plusieurs siècles ont œuvré pour la naissance d’un service public. Le fonctionnaire est couvert par son statut depuis 1946. Mais, il faut faire entendre à la population que les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. L’introduction du droit de grève, de négociation, la liberté d’opinion, le minimum vital sont les outils pris du secteur privé ou du service public, ils ont enrichi les droits du privé et du public. Pourtant les modifications législatives successives dénaturent le statut. On rentrait dans la fonction publique pour faire carrière. Aujourd’hui, on y rentre pour trouver un emploi, bien des fois contractualisé. Les contractuels représentent 17% des 5,4 millions d’agents publics. Le Département est la cible la plus menacée avec la création des métropoles et l’augmentation des contractuels. Il ne faut pas réduire le nombre de fonctionnaires mais redéfinir le contenu du travail. Le service public doit rester dans ce rapport de proximité. La bataille majeure pour la défense du statut va se passer dans la fonction publique territoriale. Face aux réformes de modernisation de la fonction publique : gestion prévisionnelle des effectifs, la mobilité choisie, l’égalité hommes/femmes, le numérique, il convient de développer les coopérations, les interdépendances. Le service public du 21° siècle est basé sur ces coopérations, la solidarité pour la défense de notre statut, la sécurisation du parcours professionnel. Il ne faut pas opposer public et privé mais plutôt œuvrer pour une défense conjointe de l’industrie et du service public dont les intérêts sont liés. La communauté d’objectifs est bien la défense du travail.
Baptiste Talbot : La volonté des politiques est de réduire le service public en déléguant leurs missions au privé. Une formation des agents publics pour la défense du statut pourrait ouvrir des perspectives. Il faut, dans l’unité syndicale, une explosion des luttes pour bloquer des projets régressifs, d’autant que les services publics, socle social et amortisseurs avérés des crises financières sont considérés comme un bien à défendre par les Français. On note un écart important entre la volonté politique de réduire les services publics et leur évolution en termes d’effectifs (passé de 2 million à 5.4 millions en 30 ans). La sortie de dizaines de millions de gens de la pauvreté est le résultat de politiques publiques fortes comme au Bresil, en Equateur, en Bolivie…à l’inverse la politique libérale de la Grande Bretagne plonge le pays dans la pauvreté avec 5.2 millions de travailleurs pauvres. En France, la loi travail est une erreur car elle conduit à une baisse des garanties collectives des salariés.
Lucie Watrinet CCFD-Terre solidaire, coordinatrice de la plateforme paradis fiscaux et judiciaires : La fraude fiscale, illégale, et l’évasion fiscale engendrent un manque à gagner pour le budget de l’Etat évalué à plus de 100 milliards d’euros. Les victimes directs, ce sont nous tous. Un travail d’appropriation citoyenne des thèmes de fraude et d’évasion fiscale commence à produire ces effets : du 1er au 7 avril, un an après la révélation des « panama papers », se déroulera la semaine mondiale d’actions contre de l’évasion fiscale. Rendre public les activités des grands groupes et donc leur fiscalité est un enjeu pour l’image des grands groupes. La pression citoyenne doit s’amplifier dans cette lutte contre l’évasion fiscale.
Alexandre Derigny, secrétaire général de la fédération CGT des finances : Dans le discours ambiant, on a peine à convaincre que de l’argent, il y en a. Or, selon la cour des comptes, les niches fiscales constituent un pactole de 150 milliards par an soit deux fois le déficit public. A qui profitent-elles ? Comment inverser cette tendance ? Les moyens attribués à la lutte contre la fraude fiscale ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les accommodements avec les entreprises fraudeuses marquent une justice fiscale à deux vitesses. Le patronat est omniprésent au Ministère de l’économie et des finances à Bercy. Renverser la construction de la fraude fiscale ou sa mise en œuvre contribuerait à l’émergence d’une nouvelle justice sociale dans le pays.
Frédéric Boccara, co-animateur des Économistes atterrés, membre du conseil économique, social et environnemental (Cese) : il faudrait un plan Marshall pour les banlieues pour créer plus de richesse et plus de service public, un fonds européen de développement des services publics entre la banque centrale européenne et les Etats pour enclencher l’efficience du service public avec un prêt à taux 0. Chacun de nous peut agir : changer de banque, faire pression sur les banques, les entreprises, mettre en place des organisations citoyennes pour créer un rapport de force… L’être humain est un être d’idées, de sens. Il peut donc dénoncer et créer ce rapport de force.
Sophie Binet secrétaire générale adjointe de l’Union générale des ingénieurs, cadres, techniciens CGT (Ugict) : Nous devons faire de nos luttes des batailles d’intérêt général, adosser nos responsabilités professionnelles à l’intérêt général et faire converger salariés, consommateurs et citoyens. Nos luttes nous enseignent que « je me mobilise quand je pense que je peux gagner ». le web et les réseaux sociaux sont un outil de contournement des médias et la possibilité fantastique de relier l’individu au collectif. En exemple, les 1.4 millions de signature initiés par Caroline de Haas contre la loi travail ont été un point d’appui important pour la mobilisation et les manifestations.
Gérard Aschieri, représentant FSU au conseil économique, social et environnemental (Cese), co-rapporteur de l’avis « réseaux sociaux numériques : comment renforcer l’engagement citoyen ? » : Pas de lutte sur la seule défensive, la lutte prend toute sa dimension dans la construction : Ainsi, le projet de sécurité sociale est une émanation de la résistance, il est né dans la résistance avec le Conseil National de la Résistance. Aujourd’hui, Facebook c’est 30 millions d’utilisateurs, 56% des Français sont affiliés à un réseau social. Le web est un outil extrêmement puissant mais avec ses caractéristiques propres. Il permet une interactivité entre tous, sous une forme d’horizontalité. Mais les réseaux sociaux ne suffisent pas. Il faut d’autres lieux d’échange, de décision et d’organisation.
Pour aller plus loin :
Frédéric Boccara Yves Dimicoli et Denis Durand : « Une autre Europe – Contre l’austérité » – Il faut une tout autre Union européenne ! Objectifs sociaux, pouvoirs et institutions politiques, BCE et moyens financiers, relations au monde. Pour combattre radicalement l’Europe actuelle, ce livre présente des propositions pour le progrès social en coopération. Elles répondent aux luttes déjà engagées par les forces politiques, sociales, syndicales qui peuvent les utiliser et les enrichir. On ne changera pas le monde sans changer l’Europe.
Du 1er au 7 avril 2017 : Semaine mondiale d’actions contre l’évasion fiscale : http://ccfd-terresolidaire.org/mob/a-l-agenda/du-1er-au-7-avril-2017-5774
Moments d’histoire de la fonction publique par Anicet Le Pors : http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/2016/10/12/3712/
La fonction publique du XXIe siècle par Gérard Aschieri, Anicet Le Pors : https://www.lgdj.fr/la-fonction-publique-du-xxie-siecle-9782708242982.html
Le blog on vaut mieux que ça : http://www.onvautmieux.fr/
Une réaction à “Retour sur la journée d’étude « demain sans fonctionnaires ? » du 23 mars 2017”